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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 09:11

suite...

 

d'après P. Pierrard


 

   Et les innombrables concerts dont retentit, cent années durant, le ciel du Nord, souvent pommelé, souvent couvert et dont la douceur triste appelle naturellement, en contrepartie, l’éclat des cuivres et des bois. Concerts de chambre donnés par des amateurs et dont raffole la bourgeoisie locale chez laquelle le piano à queue ou la harpe sont des éléments constitutifs du mobilier.

  Concerts des grandes associations tels que l’Association Lilloise (1849-1856) qui donne cent quarante sept concerts en sept ans ou ce Cercle du Nord qui, le samedi 15 novembre 1851, inaugure, au milieu d’un luxe inouï, sa salle de concerts en faisant exécuter la 6° symphonie de Beethoven : inauguration quelque peu ratée, les cors se révélant médiocres et les dames ayant arboré des toilettes qui sentaient leur messe de midi.

  Il est vrai, dit le chroniqueur, que les femmes voulaient « reconnaître le champ de bataille avant de choisir leurs armes ».

 

   Concerts donnés, dans les théâtres ou les salles de concerts, par les grandes formations orchestrales : la Société de musique de Lille de Maurice Maquet qui, en 1900, dirige trois cents exécutants ; la Société philharmonique de Douai, dont les concerts annuels du lundi d’Gayant, lors de la fête communal, ont porté loin sa réputation ; la Grande Harmonie de Roubaix, fondée en 1820, dont les chefs de pupitres et les musiciens sont passés par le conservatoire de la ville ou y enseignent.

 

   Concert des kiosques, les soirs d’été ou le dimanche ; concerts donnés par les pompiers, dans la cour de leur caserne ; concerts militaires avant la retraite du soir ; concerts du Casino de Dunkerque ou de Boulogne. Et Puis musiques des bastringues et des brasseries de l’Alcazar ou des Variétés, où déjà apparaissent, à côté du piano mécanique, les accordéonistes qui sont souvent des ouvris d’fabrique épatant le public parce qu’ils jouent sans cahier d’musique.

 

   Accordéon nostalgique qui, peu à peu, fait oublier l’orgue de Barbarie qui, par tous les temps, annonçait l’arrivée du dimanche en jouant la Valse des Adieux ou le Misere du Trouvère.

 

   Oh ! bien sûr, le public du Nord aime la musique « solide », celle du répertoire. Un Albert Roussel, pourtant Tourquennois, n’aurait que peu de chance, par sa fluide musique parente de l’écriture de Debussy, de le charmer.

 

   Des milliers de cœurs ont battu, des milliers d’yeux se sont mouillés par la grâce des Proscrits de Gevaert, de l’Aurore de Clément, de la Dame blanche de Boieldieu, de la Martha de Flotow, des Mémoires d’un papillon de Reimbault, des Francs-juges de Berlioz,. Sans oublier les mosaÏques et fantaisies tirées du Trouvère, de Lucie de Lammermoor, de Zampa ou de l’inévitable Poète et Paysan…

 

   Aux instruments – qui coûtent cher et dont l’emploi suppose formation et loisirs – le peuple préfère la chanson, l’canchon.

 

   On chante partout et en toutes occasions. On chante à la maison, au cabaret, dans les chorales laïques ou religieuses, dans les sociétés bachiques. On chante en mangeant, en buvant, en se promenant, en travaillant :

 

I faut passer din l’rue des Longues’Haies :

Au long d’un jour vous intindrez t’chanter.

 

(Jules Vaillant, 1866)

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 12:15

 

 

   Durant la grande crise de 1740-1748, quand beaucoup d’ouvriers, pour avoir du pain, s’engagent dans l’armée du maréchal de Saxe (il y aurait eu 10.000 lillois à la bataille de Fontenoy), quand nombre de femmes vont travailler à la campagne, la perte de vie est affreuse ; en huit ans : 20.374 décès pour 16.844 naissances.

  La paroisse Saint-Sauveur, la plus populeuse, contribue largement à ce renversement. En 1783, par exemple, si les paroisses Saint Pierre, Saint Etienne, Sainte Catherine, Sainte Madeleine, Saint André sont assez nettement excédentaires, Saint Maurice compte 503 naissances pour 479 décès et Saint Sauveur : 467 naissances et 528 décès. Cette année-là les fièvres estivales et la petite vérole emportent de nombreux enfants.

   Les inégalités de chances devant la vie sont déjà liées, dans le Lille de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, aux inégalités sociales et à l’inégale répartition géographique de la population.

 

   En 1677, Lille où, déjà, les espaces verts reculent devant les « courées, les rues à sacq », où sévissent la spéculation foncière et le placement immobilier, compte 350 habitants à l’hectare ; elle en comportera 480 en 1740. Densité anormale qui s’enfle au détriment de « l’environnement » et de « la qualité de vie », pour employer des expressions qui nous sont chères.

 

   Mais alors que le « quartier royal », Saint André, largement aéré, a moins de 165 habitants à l’hectare, le centre commerçant Saint Etienne, souffre d’un entassement urbain dont font surtout les frais les commis de boutique et les domestiques à qui ont sous-loue caves et greniers. Car Saint Etienne est de beaucoup la paroisse la plus riche de Lille, avec ses négociants et ses commerçants ; en 1787, on y paie 23 livres de capitation (impôt par tête) sur les 69.400 payés en ville.

   Un négociant comme Pringué dispose des services d’un garde-magasin, d’un valet, d’un cocher, d’une servante, d’une cuisinière et d’une femme de chambre. Il faut dire que les nobles, nombreux sur Saint André, sont exempts de la capitation ; et que le clergé séculier et régulier – particulièrement dense sur Saint Pierre et Sainte Madeleine – a remplacé l’impôt par une quotité fixe.

   61 % des sayetteurs et près de 40 % des bourgeteurs de Lille habitent la paroisse Saint Sauveur. C’est déjà le Saint Sauveur que nous avons connu, bourré de travailleurs pauvres parqués dans des logis étroits et sans air, et dont l’existence est soumise aux fluctuations de la conjoncture et des récoltes. Si, en 1695, on compte 1.522 contribuables sur cette paroisse, en 1740, 66% de la population mâle adulte y est exempte de la capitation ; en 1787, on n’y comptera plus que 904 contribuables (sur 11.000 habitants environ). Parmi les pauvres, il y a les industriels ruinés comme Adrien Leroy et aussi une foule de petites gens comme l’organiste Henneuse et le maître d’école Godin (le peintre Watteau ne paie que 4 livres, mais la masse des exemptés d’impôts est constituée par les ouvriers du textile, et singulièrement par les sayetteurs.

 

 

d'après P. Pierrard

 

 

 

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Repas public offert aux pauvres de Lille à l'occasion de la naissance du Dauphin, fils de Louis XV (septembre 1729)

(album de Pourcher, bibliothèque Municipale, LILLE)

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 00:00

 

d'après P. Pierrard

 

 

La Joie par la Musique

 

« Lille la mélomane » : ce qualificatif attribué par Debuire du Buc à la capitale des Flandres pourrait s’appliquer à toute la région du Nord. Patrie de Gossec, d’Edouard Lalo, d’Albert Roussel, ayant formé dans ses conservatoires et ses écoles académiques – où l’on organise des cours de solfège gratuits – des artistes, des virtuoses et des compositeurs du type de Gustave Charpentier, le Nord voit se multiplier, on pourrait dire pulluler les associations musicales, orchestres symphoniques, orphéons, fanfares …

 

Ici encore, les chiffres sont éloquents. En 1900, dans les départements du Nord et du Pas de Calais, on dénombre huit vent quatorze sociétés officiellement agrégées à la fédération régionale ; en tout : quarante huit mille fédérés. Dans une seule ville, Roubaix, on compte alors vingt huit sociétés instrumentales et trente sept sociétés chorales.

 

Les gens du Nord dont l’instinct grégaire renforce les goûts artistiques, sont capables de rassemblements monstres en matière de musique. Les festivals qui jalonnent le XIX° siècle rivalisent de gigantisme. En août 1867, à l’occasion du deuxième centenaire de la réunion de la ville à la France, un festival international d’harmonie, de fanfare et de chant d’ensemble réunit, au Grand Théâtre, soixante douze sociétés françaises et étrangères Qu’on imagine l’extraordinaire spectacle constitué par la réception, place Napoléon III (République) après un défilé en ville, bannières au vent, de centaines de musiciens aux costumes colorés, par les musiques de Lille qu’encadrent les fantassins, les artilleurs et les dragons de la garnison.

 

Il y a mieux : le festival de musique de Roubaix, le 8 août 1867, rassemble cent soixante trois sociétés dont vingt et une venues de Lille.. Et on verra encore beaucoup mieux quand aux Fêtes de Lille de juin 1912, quatre cent soixante quatorze sociétés, totalisant vingt trois mille six cent vingt sept musiciens, se feront entendre, par groupes, boulevard des Ecole (J. B. Lebas)…

 

Le département de la Somme n’est pas en reste puisque, le 22 juillet 1906, à la Hotoie, la fédération des sociétés musicales du département mobilisera le talent de deux mille exécutants appartenant à soixante sociétés locales.

 

Et les concours, les innombrables concours régionaux, nationaux, internationaux qui, tout au long du siècle, mettent en effervescence la curiosité et l’orgueil des villes, petites et grandes ! Que la société philharmonique locale, l’orphéon ou la fanfare, remporte le 1er prix ; aussitôt un télégramme tombe sur la table du maire qui l’affiche à la porte de la mairie, quitte, comme à Valenciennes, à mettre des bésicles à la disposition des mauvaises vues. Et quelle réception, mon ami ! Depuis le siège des messageries ou depuis la gare, une foule délirante, massée sur les balcons, couvre de fleurs les musiciens en uniforme ou en redingote qu’accompagnent, jusqu’au « vin d’honneur » municipal, les autorités au grand complet.

 

21-02-2013-1809-23.jpg

 

Photo tirée de "Lille dix siècles d'histoire"

P. Pierrard

 

 

à suivre…

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22 février 2013 5 22 /02 /février /2013 09:17

 

d'après P. Pierrard

Suite....

 

L'autre chez soi : le cabaret


 

Et puis, il y a le danger – tout aussi réel – de l’alcoolisme, de l’intempérance, de l’ivresse, avec tous leurs excès. Il est certain qu’on boit énormément dans le Nord : pu de vin, mais une quantité considérable de genièvre ou d’alcool de cidre, et une quantité incommensurable de bière ou, en Picardie, de cidre.

 

Faut-il accuser pour autant les cabarets ? Il y a bien sûr, d’immondes assommoirs et, dans les villes de garnison surtout, des lupanars, des claq’s à chiques. Mais aussi, que de charmantes petites salles entretenues à la flamande, au nom pittoresque et parfois poétique : La Poire d’Or, le P’tit Quinquin, l’sergent du Poitou, Au Ru tout ju, Aux Amis réunis.

La devanture est passée au p’tit blancblanc  (peinture à l’eau et blanc d’Espagne), la porte vitrée s’orne de rideaux de cotonnette. Le sol est saupoudré de sable blanc ; un Bacchus trône sur un tonneau ; l’empereur sourit au centre de l’inévitable « chromo » qui décore les murs ; un canarien chante dans sa cage attachée au plafond ; sur le comptoir brillent les pots et pintes, les canettes ; le soir, de grands chandeliers de bois portent des chandelles qu’on mouche avec les doigts.

 

La patronne traite comme ses enfants les habitués qui peuvent se permettre, sans trop se faire rappeler à l’ordre, d’interloquer la grosse servante belge. Là on est bien, souvent beaucoup mieux qu’à la maison. Là on est chauffé, éclairé. Là on oublie les soucis, le taudis, la misère, on rinfonce l’ chagrin :

 

Ch’est au cabaret

Que l’tristesse

Vieil’ tigresse

Sitôt disparaît …

 

(A. Desrousseaux)

 

 

Là on se retrouve. Et C’’st pourquoi, tout naturellement les sociétés ont comme siège un cabaret.

« Sociétés de malades », comme on dit dans le Nord pour désigner des associations corporatives qui ont gardé quelque chose des confréries de l’Ancien Régime ; avec leur système de cotisation, leur valet  chargé du courard ou livre de recettes, et qui reçoit chaque année deux paires de souliers à daches (clous). Le grand jour de ces sociétés, c’est la « fête sociale » couronnée par un banquet, au cours duquel on brise la cagnotte et que prolongent d’interminables beuveries.

 

« Sociétés à boire » dont les « soirées bachiques » hebdomadaires sont destinées à composer, dans la fumée des pipes et l’odeur de la bière, les chansons de carnaval.

On boit, bien suûr, au cabaret, et plus d’un ouvrier en sort avec sin pleumet (ivre), mais on y mange aussi. Les locataires qui logent aux étages y prennent naturellement leur repas et, pour ses habitués, la cabaretière une marmite de peun’tières à l’ p’lure qui seront largement saupoudrées de sel et arrosées de bière mousseuse. Dans les bons jours, elle leur réserve, pour six sous, avec du pain et de la moutarde, de l’andoull’ grise, du fi (foie) ou du gambon. Et il n’est pas rare que les joueurs fassent un chint d’piquet pour un baquet d’peun’tières ou jun’t deux sous à l’tiête pour des harengs salés…

 

L’hiver, surtout, rares sont les cabarets qui n’organisent pas des ducasses à pierrots ; en ces occasions, leur façade arbore un sapin d’où pendent, sous une lanterne, de longs chapelets de saucisses (pierrots ou pirrots) enrobés de papier argenté, un jambon factice et aussi quelques boules d’or qui scintillent dans la nuit. Pour cinquante centimes, parmi les rires et les chants, on y déguste les pierrots accompagnés d’une bonne platée de pommes de terre et de haricots, arrosés de bière.

 

21-02-2013-1720-21.jpg

 

 

extrait de : Lille, 10 siècles d'histoire, par P. Pierrard

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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 10:47

LES PLAISIRS ET LES JEUX

 

Les gens du Nord au XIX° siècle forment une vaste société festive dont le temple sera le cabaret.

Mais cette société n’est pas homogène. En simplifiant à peine, on peut dire qu’elle comporte une minorité de « riches » - industriels, rentiers, négociants, grands bourgeois de tout poil – et une masse de « pauvres », ouvriers de la terre, de la mer ou de l’industrie.

Ces deux sociétés ne se mélangent pas, et surtout pas lorsqu’elles s’amusent. Aussi ont elles chacune leurs lieux de retrouvailles ; le « pauvre » a le cabaret, l’estaminet ; le « riche » a ses vastes salons où punchs, dîners, raouts, bals réunissent les gens de son bord ; il a aussi ses cercles, ses cafés.

 

A Roubaix, au Cercle de l’Industrie, les industriels, le soir, font volontiers une partie de Whist ou de bouillotte. Lille, ville bourgeoise par excellence, est évidemment favorisée avec : le Café de Paris, le Café du Théâtre, l’Hôtel de Bourbon, le Café Lalubie – un Tortoni à la mesure de la province, et puis et surtout le Cercle du Nord, ouvert le 7 janvier 1849, installé rue Saint Jacques dans le bel hôtel du Maisniel complètement rénové et dont les salles de jeux de billard, la tabagie, la bibliothèque et, surtout, la salle de concert, due à Colpaert, sont la fierté de la grande bourgeoisie de Lille et des environs.

Cercle select, à la cotisation élevée – 83 francs en 1867 -, ce qui ne l’empêche pas de compter 1.100 membres ; pour donner à ses concerts tout le brio nécessaire, il n’hésite pas à engager des vedettes telles que Mme Carvalho qui, en 1860, demande un cachet de 1.400 francs, battue en cela par Mme Kraus qui, en 1866, touche 2.000 francs par soirée.

 

Un autre chez soi : le cabaret

 

Le cabaret, c’est différent. Ce n’est pas un complément du « chez soit », c’est véritablement un autre « chez soi », plus chaud, plus vaste, plus accueillant que le vrai. Le cabaret c’est exactement, pour reprendre une expression d’E. Leroy-Beaulieu, « l’église de l’ouvrier ».

 

Au fur et à mesure que le siècle avance, la prolifération des cabarets s’accélère ; les chiffres s’emballent. A Lille, 1.600 « débits de boissons » en 1859 , 3.900 en 1890, 2.100 en 1900.

 

A Bailleul ; 167 débits pour 7.128 habitants… Proportion semblable dans les campagnes : une petite commune de l’Artois, Haisnes, qui a 9 cabarets en 1860, en groupe 39 en 1900 ; il est vrai qu’entre temps, elle a été englobée dans la zone minière de Béthune.

 

Aucune législation n’arrive à stopper cette invasion. Les gouvernements s’en inquiètent. D’abord parce que le cabaret est le lieu privilégié des conciliabules politiques et des chants subversifs ; là, sur les tables marquées de bière, s’étalent les journaux. Après 1880, traqués dans les entreprises, les chefs socialistes, comme Henri Carette à Roubaix, Gustave Delory à Lille, Alfred Delcluze à Calais, se feront naturellement cabaretiers, leur salle et leur arrière-salle constituant une « cellule » idéale.

 

20-02-2013-1841-17.jpg

Gravure de Boldoduc.

 

Le café des Arts était situé au Vieux Marché aux Poulets (rue du Molinel)

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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 17:59

L’Enfant au Travail

 

Pire que le travail des femmes à l’usine est le travail des enfants. Le Nord industriel n’échappe pas à ce fléau.  En 1875, dans les trois départements on dénombre 21.771 enfants de plus de huit ans employés dans des ateliers ou des fabriques. Pourquoi ?

 

D’abord, parce que longtemps l’opinion ne considère pas le travail des enfants comme un fait anormal. Pour l’industriel, qui voit dans le travail un dérivatif à la paresse,employer des enfants à des « travaux légers », encore que fatigants par leur monotonie et leur durée, est une source certaine de bénéfices. Aux yeux des parents, que ne préoccupe guère (avant que Jules Ferry ne les y oblige) les bienfaits de la fréquentation scolaire, le supplément de salaire pourtant minime (cinquante centimes) que représente le gain d’un ou de plusieurs enfants est un élément positif non négligeable dans un budget difficile à équilibrer.

 

La mauvaise volonté générale, le défaut d’inspection efficace rendent, en fait, caduques les lois de 1841 et de 1874 qui réglementent le travail des enfants dans les manufactures, fixant à douze ans leur entrée à l’usine. Législation d’autant plus précaire qu’elle ne s’applique, en droit, qu’aux ateliers employant plus de vingt ouvriers, maintenant ainsi dans la petite industrie des abus criants et permanents.

 

En fait, presque jusqu’à la fin du XIX° siècle, l’enfant d’usine – trop souvent privé d’instruction et presque toujours de formation professionnelle, de véritable apprentissage- est une réalité sociale car, lorsque la loi du 2 novembre 1892 fixe à treize ans l’âge d’entrée dans les usines (douze pour les titulaires du certificat d’études) et crée une vigoureuse inspection du travail, on voit des industriels roubaisiens se faire avertir par téléphone, par le chef de gare, du passage imminent de l’inspecteur. A Tourcoing, certains filateurs, avant l’entrée de l’inspecteur, cachent dans des paniers les petites filles – d’ailleurs consentantes – qui n’ont pas l’âge requis.

 

Augustine Mahu, de Roubaix, commence à œuvrer à sept ans : « j’étos, raconte-t’elle à l’préparation… Au long de l’journée j’tournos l’bobinoir… soixante-douze heures par semaine… et eun’ baffe du contremaître pour m’empêcher d’dormir ».

Toujours à Roubaix, à la fin du Second Empire : J’ai vu, écrit un instituteur, quinze petits garçons employés à une machine à dévider. Ils étaient assis sur des tabourets très élevés pour les empêcher de descendre et tenir leur attention éveillée.

 

Chacun avait devant soi trois ou quatre bobines et en aspirait sans relâche les flocons. L’un deux, un peu moins jeune tournait la roue et on voyait son pauvre corps se dévier et la sueur perler sur son visage à l’expression assombrie. Et un père de famille d’ajouter : « Ma fille de quatorze ans travaille à la teinturerie Gaydet ; elle commence à cinq heures trente du matin et ne termine parfois qu’à vingt trois heures. »

Enfants au travail ; dévideurs, bobineurs, cardeuses et ces petits rattacheurs qui sont les valets des fileurs, lesquels les obligent souvent soit à ramper sous le métier en marche, soit à grimper dessus pour rattacher les fils ou replacer sur l’axe la courroie de transmission. Insouciance criminelle, due à l’appât du gain et qui est la cause d’accidents affreux.

Adolphe Plattiau, quinze ans sur son livret, treize pour l’état civil, est rattacheur chez Toussin, rue de Jemappes à Lille ; on l’emploie au troisième étage de l’immense usine, dans le bruit terrible de vingt métiers à filer le coton. Le jeudi 9 août 1856, son fileur, Helme, lui ordonne de prendre un crochet adapté à un long bâton pour descendre la courroie cassée de la poulie et la maintenir sur l’arbre en mouvement. Le jeune Hochard aidera Plattiau tandis que le fileur procèdera à la réparation. L’enfant monte sur le bâti pour maintenir la courroie avec la main ; soudain celle-ci est frappée, entraînant le corps. Hochard veut arrêter le métier : il n’y a pas de déclinche, pas de sonnette d’alarme pour prévenir le chauffeur, au sous-sol. Quand la machine s’arrête, c’est un pantin disloqué qui s’écrase dans l’allée, large d’un mètre trente-cinq, un petit cadavre nu : le pantalon a été projeté au loin, la chemise serrée autour du cou a étranglé l’enfant. Lancé à cent vingt tours à la minute, le corps a défoncé le plafond avec les pieds. Le fileur Helme sera condamné à trois mois de prison et cinquante francs d’amende.

 

Toussin ne sera pas inquiété…

 

d'après P..PIerrard

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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 09:12

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Le Pays des Géants 


 

A la Trinité, Hazebrouck organise la sortie de sa deuxième famille de géants : le souriant vieillard  Tis-je-Tas-je, qui porte une blouse et une haute casquette, et sa femme Toria, au joyeux bonnet tuyauté, noué sous le menton ; le fidèle Roland les accompagne.

Seclin a sa fête des harengs, Wervick sa fête du Tabac, Montdidier sa fête de la pomme de terre qui célèbre Parmentier, lequel y naquit en 1737 :

 

De l’habitant des champs

Il grossit le pécule,

Célébrons par nos chants

Cet humble tubercule.

 

A Tourcoing, Roubaix et les communes voisines, le dernier lundi de septembre, c’est la fête des Allumoirs, fête de la lumière, cette lumière devenue nécessaire, dans ces villes austères, à l’approche des soirées sans fin. La coutume veut, en effet, que les tisserands à l’Otil reprennent le travail à la lampe à partir du dernier mardi de septembre. Jusque là, ils travaillaient à l’braine.

C’est la grande fête gracieuse de cités dévorées par le charbon et la laine, trouées par le réseau des courées noires. Pour mieux la célébrer, on donne congé au personnel des entreprises à partir de midi, ce qui permet aux ouvriers de se régaler dans les cabarets, de portions de saucisses accommodées aux pommes de terre ou aux haricots et qu’on appelle pierrots (pirrots).

 

Le soir, les enfants deviennent maîtres des rues, y semant des milliers de petites étoiles joyeuses et mobiles ; ce sont les petites flammes provenant des bougies enfermées en des lanternes vénitiennes, des boites de cendres ou de résine rougies, des pots de terre cuite, des vieilles casseroles, des betteraves creusées que les gosses dans un tohu-bohu étincelant de pétards et de chandelles romaines, balancent à la manière d’un encensoir avec l’aide d’une ficelle ou au bout d’un bâton. Tard dans la nuit, les voix glapissantes retentissent encore dans la ville, reprenant la vieille mélodie :

 

Des cafotins !

Pour ouvrer du matin !

Des allumoirs

Pour ouvrer du soir !

 

d'après P. Pierrard

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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 15:59

 

D’après P. Pierrard

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La rue Vivante

 

A Hazebrouck, le lundi de la Mi-Carême est marqué par un grand cortège historique où revivent les personnages qui ont fait le passé de la ville et qu’ouvre le géant Roland de Roncevaux, vêtu d’écarlate et d’argent, sa bonne épée sur l’épaule et le grand écu au côté Et puisqu’un comte de Flandre fit jadis à la ville un procès pour une histoire de noyer, un mannequin surnommé comte Demy-Caresme, à l’air stupide et fat, déverse de son char, sur le parcours plusieurs centaines de kilos de noix (gauques) que la foule s’efforce de saisir.

De telles réjouissances ne sont pas spéciales au Carnaval d’hiver et à la MI-Carême.

 

Cambrai fête le carnaval d’été à la mi-août en promenant ses deux jacquemarts colossaux : Martin et Martine, un forgeron et sa femme qui, autrefois, assommèrent des assaillants qui cherchaient à s’emparer de Cambrai. Vêtus à la façon des Maures et armés d’un lourd maillet de fer, arme de leurs exploits.

Martin (2 m 40) et Martine (2 m 20) traînent derrière eux une cohorte de sociétés accompagnées de leurs drapeaux et de leur fanfare, et s’arrêtant tous les cent mètres pour danser.

 

Depuis le milieu du XIX° siècle, les grandes fêtes de Lille, les Fastes de Lille, héritières de la fameuse Procession de la Trinité, comportent un cortège historique avec représentation de personnages géants.

A côté de Jeanne Maillotte et autres Philippe le Bon, finit par s’imposer le duo formé par Lydéric et Phinaert, les fondateurs mythiques de la ville.

Des chars humoristiques viennent parfois rompre l’ordonnance solennelle.

 

J’ai vu l’imp’reur de Chine

Aveuc tous ses sujets

Et puis l’quar de méd’cine

Pour l’maladie qu’on sait :

D’avoir tous chés séringues

Berloguer d’tous côtés

J’ai eu ma à min vinte

Quand j’les ai vu passer.

 

Comme autrefois, les fêtes de Lille sont marquées par des joutes sur la Deûle, des concours de jeux et de musique. Parfois aussi par un carrousel, à l’imitation de Maubeuge, Doullens, Hem, Saint-Omer, Wattrelos où des jeunes gens de la ville, le dernier dimanche de mai, offrent un carrousel aux cavaliers des communes voisines.

Premier prix : un joli harnais de tilbury – second prix : une belle selle anglaise avec bride –

troisième prix : une paire de bottes de cavalier et une cravache ; ou encore des couverts d’argent.

 

Ce qui caractérise les fêtes d’Arras, ce sont les chansons patoisantes qui célèbrent Colas et Jacqueline, paysans naïfs et madrés de la banlieue, amoureux l’un de l’autre par surcroît.

 

La ville de Comines, le deuxième dimanche d’octobre, connaît la fête des Louches, inspirée d’une légende médiévale ; un défilé costumé et historique s’y termine par un jet de louches, lancées par centainesdes fenêtres de l’hôtel de ville.

 

Armentières, le deuxième dimanche de septembre, célèbre la fête des Nieulles, marquée elle aussi par un arrosage public, moins brutal celui-là puisque les louches sont ici remplacées par des petits gâteaux ronds (nieulles) fort appétissants.

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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 00:00

D’après P. Pierrard

 

Le Pays des géants

 

Au pays flamand – de langue et de mœurs -, les mannequins de carnaval ont une tout autre allure et, passé les fêtes, ils ne s’en vont pas en fumée, mais réintègrent les hangars municipaux où, par les trous de serrure, par les interstices des planches mal jointes, les gamins iront les contempler dans leur auguste repos. Ces mannequins d’osier ou de bois, promenés dans les cortèges, ce sont les géants processionnels, si caractéristiques du folklore septentrional.

 

Qu’importe leur origine, d’ailleurs controversée : chefs-d’œuvre des métiers médiévaux, descendants de Saint Christophe ou de Gargantua, originaires d’Espagne ou de Scandinavie, survivance, dans les villes flamandes, du culte druidique, des temps brumeux et froids des forêts vierges et des marais inviolés, les géants du Nord, du moins un certain nombre d’entre eux, ont survécu à la rage iconoclaste de la Révolution française.

Et si, au XIX° siècle, ils ne sont pas aussi nombreux qu’aujourd’hui, du moins ceux que l’on promène sont les plus beaux, les plus anciens.

 

Voici les Reuze, sans lesquels le carnaval de Dunkerque et de Cassel ne seraient rien. Personnifiant, par son accoutrement, un légionnaire romain, à moins que ce ne soit Robert 1er le Frison, comte de Flandre, Reuze Papa, à Dunkerque, est accompagné dans ses sorties par six gardes du corps, petits géants flanquant son char, et par quatre personnages composant sa famille : Pietje, Mietje, Boutje, Meisje.

A Cassel, depuis 1860, Reuze Papa a une épouse, Reuze Maman : leur sortie est scandée par une très vieille chanson flamande :

 

 

Als de groote Klokke luif,

De Reuze Komt uit

Keere u e’s om,de reuze, de Reuze,

Keere u e’s om,

Reuzekom *

 

Bien entendu la procession géante est le prétexte de mains amusements qu’à Dunkerque, orchestre la Vischer-bande : la bande des pêcheurs d’Islande qui, à la veille de s’embarquer, organise une formidable bordée masquée d’où se détachent certains travestis célèbres :  les Pierlata, au costume violet et rouge et aux bosses énormes ; le tambour major Pintje-Bier (Pinte de bière), ou ces « macabres » dont seuls bras et jambes émergent d’une grosse boule figurant le corps…

Le cortège se disloque devant l’hôtel de Ville d’où sont jetés des paniers de harengs fumés.

 

 

Bailleul, depuis 1852, a aussi son géant de carnaval : Gargantua, qui est représenté assis à table, dévorant un mouton entier et servi par une vingtaine de bruyants marmitons. Et les Bailleulois de chanter, mi-français, mi-flamand :

 

Carnaval n’est pas mort,

 Car il vit encor !

En geeft zeer eenen wafer

Aen Mynheer Galafferde !

Voilà ! Voilà ! Voilà !

Voilà Gargantua

 

 

 

 

 

 


 

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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 00:00

 

d'après P. Pierrard


 

Aucune région, autant que le Nord, n’est riche en réjouissances et fêtes publiques. L’atavisme flamand et picard, à peine freiné par la Révolution française, continue à jeter les gens dans les rues, les esplanades, les carrefours, les places d’armes, les quais, les baraques éphémères …, partout où le veut la coutume, une coutume que rien encore, aucune rupture brutale du rythme de vie, n’est venu substantiellement modifier.

 

Et si, à la fin, l’électricité commence à s’imposer, c’est pour devenir l’auxiliaire féerique des plaisirs communautaires. Quant au chemin de fer, loin d’être un élément de dispersion – comme aujourd’hui l’automobile -, il favorise les vastes rassemblements.

 

Venant se plaquer sur le réseau des fêtes coutumières, la fête nationale – tout en étant fortement soulignée – est tout de même la moins populaire, parce qu’imposée de l’extérieur.

 

Que ce soit le 15 août  - fête de l’empereur sous Napoléon 1er  ou Napoléon III, – le 25 août –(Saint Louis) fête de Louis XVIII, le 4 novembre (Saint Charles) fête de Charles X, le 5 mai (1849-1851) anniversaire de la proclamation de la République, ou le 14 juillet à partir de 1880, le programme des festivités officielles ne varie guère : si la grand-messe avec le Te Deum disparaît avec la IIIe  république, les populations ont inévitablement droit, au début et à la fin de la journée, aux deux salves de canon, à la parade militaire, aux illuminations des façades, au feu d’artifice, et au bal public.

 

Dans les grandes villes, une ascension aérostatique fait partie du menu, l’invité qu’on s’arrache étant généralement le célèbre Louis Godard, aéronaute officiel de Napoléon III, qui, au 15 août 1858, à Lille, en est déjà à sa 358° ascension. Ce jour-là, Godard, devant une foule immense assemblée au Champ de Mars, corse le spectacle en se balançant sur un trapèze dominant la nacelle et en faisant exploser des petites bombes à parachute.

 

Il faut dire qu’il tient à se réhabiliter aux yeux des gens du Nord, car les deux premières fois qu’il s’est produit devant eux il a lamentablement échoué ; d’où le refrain malicieux :

 

Avec sin fu d’pall’, Godard

Quayot toudi près du rempart.

 

 

15-02-2013-1208-19.jpg

 

 

Document réalisé par Christiane Bailleul : envol de la Nymphe Aérienne en 1787 ( rue des Buisses).

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